Benoit Piret,
Vox
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texte de Miguel Mesquita da Cunha
Vox clamantis
Pénétré d’une exigence péremptoire, consumé d’un besoin sans cesse ni concession, l’artiste doit créer, doit donner, doit dire. Sa création, fût-elle raisonnée, ne procède point d’une réflexion, mais d’une commination.
Cependant, quelque profonde, quelque puissante que soit l’impulsion qui anime l’artiste, quelqu’éminente, quelqu’impérative même que soit son œuvre, le créateur en perd la maîtrise au moment précis qu’elle est accomplie. L’œuvre achevée devient ipso facto une réalité autonome, extrinsèque, indépendante. Elle est donnée au monde.
Certes, sur les plans juridique, économique, pragmatique, l’artiste peut veiller à la protection de ses droits, à la diffusion de son œuvre sur un marché, à la poursuite de sa carrière. Tout cela est légitime, mais ressortit davantage de l’œuvre comme produit que comme propos.
En revanche, en tant précisément que l’œuvre est authentiquement d’art, qu’elle est un dit, l’artiste est absolument démuni. C’est l’œuvre seule, l’œuvre en soi qui doit parler ; & c’est à autrui seul qu’il appartient de l’accueillir, de l’écouter, de s’en laisser pénétrer – ou non. L’artiste peut, au mieux, tenter d’accroître la diffusion de son œuvre (triste besogne pour un grand seigneur !) ; mais il ne saurait, même infinitésimalement, en aviver la réception.
L’art en somme, injonction pour l’artiste, est absolue liberté pour autrui.
C’est dès lors une belle leçon sur l’art que nous offre Benoît Piret.
En l’humble vaisseau d’une bouteille, l’artiste scelle son message - & il ne peut ensuite que le confier à l’inconnu, à l’infiniment imprévisible de l’océan. Que la bouteille parvienne sur une rive lointaine, qu’elle y soit perçue comme prégnante, saisie, scrutée, & presque sanctifiée telle une épiphanie – ou qu’elle sombre durant son périple, qu’abordant à quelques confins rocailleux elle y soit ravalée telle rebut ou rébus – voilà qui échappe absolument à l’artiste. Et pourtant, inlassablement, à temps & à contretemps, bravant le désespoir par la candeur de sa foi, l’artiste œuvre, encor & encor - car son cœur ne saurait faillir au jour. Et lance un nouveau message, une nouvelle bouteille à la mer.
Par sa silencieuse allégorie, digne de nos enfantines rêveries aux tropiques de l’éveil, voici donc que Piret nous dévoile à la fois l’humilité fondamentale de l’artiste, sa souffrance vrillante, & plus encore sa noblesse irréductible – Vox clamantis in oceano…
Miguel Mesquita da Cunha.